La laïcité, au sens où nous l’entendons, où nous la défendons ne se laisse pas définir si facilement, nous le savons bien. Il est quelquefois plus aisé d’expliquer, de faire comprendre à partir d’un exemple. Tout devient soudainement plus facile lorsque l’exemple choisi procure un moment de plaisir : c’est le cas ici avec cette contribution de Maxim Chattam.
La laïcité, dans son aboutissement doit être un formidable outil d’intégration des différences. « Ce qui nous différencie nous enrichit. Faire des différences des autres un atout pour la communauté est la seule solution. Ne pas avoir peur de ce qui ne nous ressemble pas. »
Dans ce qui est devenu un combat, c’est aux nations les plus puissantes, les premières à être touchées par ces actes de barbarie, de montrer l’exemple. Pour cela, il faut accepter d’y mettre les moyens nécessaires, faire des sacrifices. L’heure du choix est face à nous. A nous de porter haut nos valeurs, de les faire vivre et de les partager. Bonne lecture à tous.
« Le premier champ de bataille… »
MAXIM CHATTAM
LES MOTS, TOUJOURS…
Le premier champ de bataille doit être au pied de nos portes, dans nos rues, dans nos écoles, dans nos médias. Expliquer ce qu’est la République, la démocratie, mais surtout, lui redonner du sens. Que cette République se fasse une place là où elle n’est plus. La plupart des réseaux de radicaux passent par nos cités, là où l’État et ses valeurs ne signifient plus rien. Là où des gosses grandissent avec peu d’espoir, sans cadre. Lorsque des intégristes ferrent ces gamins avec leurs idées précises, leur offrant un cadre qui leur manquait, des espoirs – mieux : des certitudes à ne pas remettre en cause –, et au final leur proposant de donner un sens à ce qui n’en avait plus, à leur vie, alors il n’est pas difficile d’enrôler les fragiles, les égarés… Ces manipulateurs n’ont qu’à ramasser ceux que notre système a laissés pour compte.
Maintenant, à nous de nous poser la question de ce que nous voulons : nous embarquer dans une guerre d’une nouvelle forme, avec ses affrontements imprévisibles, contre une armée invisible, ou engager nos moyens autrement, pour couper le vivier de guerriers à sa source ?
Certes, cela impliquerait d’investir des moyens colossaux dans ce qui, de prime abord, ne semble pas une priorité à l’heure de la crise, du chômage omniprésent et du manque d’argent. Certes, cela semble plus dur et plus long à accepter que de voter pour un parti politique extrémiste qui, avec ses discours simplificateurs, ne fait que dire ce que beaucoup ont envie d’entendre, sans réellement proposer de solutions (ou pire : d’en apporter) qui seraient, à terme, plus dévastatrices qu’autre chose.
Mais ne nous méprenons pas : se bunkériser, se surarmer, rejeter les différences, toutes ces stratégies de l’isolement ont déjà été employées à maintes reprises dans l’histoire des civilisations, et vous savez quoi ? Aucune n’a jamais survécu. Aucune.
Les plus grandes civilisations se sont toujours bâties sur le même modèle : en intégrant les différences. Ce qui nous différencie nous enrichit. Toujours. C’est un concept de base de la nature, et regardez ce qu’elle a accompli en partant de si peu, malgré tout ce qu’elle a affronté sur tout ce temps ! Faire des différences des autres un atout pour la communauté est la seule solution. Ne pas avoir peur de ce qui ne nous ressemble pas.
La peur est un organe de destruction.
Dans cette nouvelle ère qui a démarré symboliquement le 11 septembre 2001, il faut faire preuve de sagesse. Que les nations les plus puissantes, celles qui ont trusté les plus grandes richesses pendant si longtemps, et dont nous sommes les héritiers, que cela nous plaise ou pas, montrent l’exemple. À nous de commencer. C’est un sacrifice pour chacun. Ces investissements massifs, qu’il faut faire entre autres dans l’éducation et le social sur des secteurs ciblés, mais pas seulement, c’est autant d’argent qui ne sera pas investi ailleurs, pour vous et moi directement. Mais nous n’avons plus le choix. Ces sacrifices de notre vie quotidienne sont nécessaires si nous ne voulons pas que ce soit nos vies directement et celles de nos enfants qui soient sacrifiées.
Il faut accepter cela. Accepter de se priver d’une certaine manière, car les caisses de nos États ne sont pas extensibles, pour déjà videsqu’elles soient, et c’est cela le plus dur à venir.
Nous devons nous recentrer sur nos priorités, travailler au cœur de nos dysfonctionnements sociaux, investir massivement dans des secteurs qui ne sont pas porteurs électoralement parlant, combattre les peurs primaires, et tout cela ne se fera pas sans que nous soyons nousvolontaires pour cela, en acceptant les sacrifices nécessaires. Il y avait déjà cette foutue crise qui nous traverse, qui nous maltraite, la mondialisation qui apporte certes beaucoup mais qui coûte si cher à nos emplois, maintenant, il y a le besoin impérieux de lutter à la source contre l’obscurantisme, celui-là même qui forme nos futurs terroristes. Cela fait beaucoup, c’est vrai, mais nous ne pouvons pas nous voiler la face.
L’heure est à la lucidité, et au choix.
Celui de l’intelligence. Le chemin le plus long, le plus dur au quotidien, mais le seul qui soit salutaire pour nos enfants.
Car l’affrontement direct, à long terme, n’est pas une solution durable. J’espère seulement qu’il ne nous faudra pas de nombreuses autres victimes pour l’accepter.
Au moment du deuil, la colère et la peur peuvent prédominer, mais il faut rapidement savoir les surmonter pour remettre un peu de raison là-dedans.
Début janvier 2015, la France a été touchée dans ses symboles le plus forts : ce territoire de liberté a vu ceux qui l’incarnaient se faire massacrer froidement. Nos bougies brûlent encore en leur mémoire, mais aussi en mémoire de toutes les victimes que ce terrorisme a faites de par le monde depuis plus de dix ans.
Ne soyons pas fous à notre tour.
L’Europe a été le berceau du siècle des Lumières.
Puissent ces bougies nous le rappeler et nous inspirer pour poursuivre le travail de nos ancêtres.
(Nous sommes CHARLIE, 60 ÉCRIVAINS UNIS POUR LA LIBERTÉ D’EXPRESSION, Le Livre de Poche, janvier 2015, pp. 28-31).